Poursuivi par un créancier, l’État congolais estimait que la saisie du Falcon 7X de Denis Sassou-Nguesso était illégale. Démenti de la justice française.
Au risque de se voir reprocher un crime de lèse-majesté, le juge de l’exécution (JEX) du tribunal judiciaire de Paris a ouvert la voie à la vente aux enchères d’un jet rattaché à la flotte du président Denis Sassou-Nguesso, qui exerce depuis 23 ans un règne sans partage sur la République du Congo, l’un des pays les plus pauvres du monde. Ce Falcon 7X, dont la valeur est estimée entre 20 et 30 millions d’euros (selon le luxe de ses aménagements intérieurs, qui reste à apprécier), avait été saisi en vue d’une exécution forcée le 8 juin dernier, sur le tarmac de l’aéroport de Bordeaux Mérignac (Gironde) où il devait subir des travaux de maintenance.
S’appuyant sur deux sentences arbitrales condamnant la République du Congo à payer ses dettes à sa société de droit congolais « Commission Import-Export » (Commisimpex), l’homme d’affaires anglo-libanais Mohsen Hojeij avait fait saisir l’appareil, immatriculé TN-ELS, alors qu’il venait d’être confié à la société Dassault Falcon-Service pour sa révision. Le créancier, à qui la République du Congo devrait plus d’un milliard d’euros au titre de marchés publics impayés, se prévalait encore d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 février autorisant « toute mesure d’exécution sur tout bien appartenant au Congo », « dont les aéronefs », à l’exception des avions utilisés à des fins diplomatiques.
Bien décidé à laver l’affront, le Congo a fait citer Commisinpex et Dassault Falcon-Service devant le juge de l’exécution, estimant la saisie du jet « nulle et abusive ». Tout en en réclamant la mainlevée, les avocats de la République du Congo revendiquaient auprès de son créancier la coquette somme d’un million d’euros, en guise de dommages et intérêts. Au titre du préjudice moral ? En tout cas en réparation de l’outrage fait à cet État – et à son président autocrate.
Au terme d’une inépuisable discussion juridique portant tout à la fois sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens, la notion d’aéronef d’État étranger et l’usage qui en est fait, le juge a, dans une décision du 29 juin, rejeté toutes les demandées formulées par l’État congolais. L’avion portant ses couleurs pourra être vendu aux enchères, comme le souhaitait la société Commisimpex, bien décidée à saisir tout ce qui peut l’être pour recouvrer ses créances. Saluant une décision « remarquablement motivée », son avocat, Me Jacques Alexandre Genet, s’est félicité de voir « les petites manœuvres de la République du Congo écartées par les juridictions françaises ».
Carnet de vol épluché
C’est la première fois, depuis l’adoption de la loi Sapin 2 de 2016 (relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique), que la justice française confirme la possibilité de saisir un avion appartenant à un État étranger. « Conscient de la sensibilité de la question, le juge a pris soin d’examiner, pour mieux les rejeter, tous les arguments fondés sur l’immunité de l’État congolais », se félicite Me Genet.
Celui-ci avait adressé au JEX un mémoire de plus de cinquante pages tendant à démontrer que l’avion présidentiel sur lequel lorgnait son client ne relevait pas d’un usage diplomatique mais personnel. Pour s’en assurer, le juge français, saisi par la République du Congo, a épluché le carnet de vol de l’appareil et a pu constater que « huit pages sur neuf » étaient consacrées à des vols intérieurs, spécialement entre Brazzaville, la capitale de la RC, et Oyo, ville natale du président Sassou-Nguesso. Il a constaté qu’à plusieurs reprises, le dirigeant congolais l’a utilisé « pour d’autres vols intérieurs, sans lien avec une activité diplomatique ». « Entre le 31 août 2018 et le 8 février 2020, (celui-ci) a effectué dix-sept voyages officiels sur d’autres aéronefs, notamment un Boeing 787 », relève encore le magistrat.
« Ainsi, l’État débiteur […] n’offre aucune preuve de ce que l’appareil en cause a effectivement transporté le président congolais à l’occasion d’un quelconque voyage à l’étranger », en déduit-il. « Son utilisation n’est reliée à aucune activité diplomatique établie », conclut le jugement.
Envolé, donc, l’espoir de la République du Congo d’en reprendre les commandes. Le jet privé du président Sassou-Nguesso, régulièrement cité dans des affaires de détournement de fonds publics et poursuivi par de nombreux créanciers internationaux, va être vendu comme un vulgaire meuble – ce qu’il est d’ailleurs, au regard du droit.