Alors que le président congolais Denis Sassou Nguesso est venu à Paris le 11 novembre pour les cérémonies du centenaire de la fin la Grande Guerre, le journaliste Ghys Fortuné Dombe Bemba, fondateur du groupe de médias Talassa, raconte sa détention à l’isolement dans la maison d’arrêt de Brazzaville.
« Mes 18 mois d’emprisonnement à la Maison d’arrêt de Brazzaville ? Un enfer », lance, doucement, les traits tirés, Ghys Fortuné Dombe Bemba. Ce journaliste congolais est arrivé en France le 18 octobre. Depuis, ces journées sont occupées par les soins quotidiens qu’il reçoit dans un hôpital de la banlieue parisienne. « Mon corps a souffert. Il se remet peu à peu », dit-il.
Le fondateur du groupe de médias Talassa, qui publie le bihebdomadaire Talassa, un mensuel, un site Internet, et qui comprend aussi une agence de communication et une imprimerie, a été arrêté le 11 janvier 2017. La raison ? « Officiellement, j’ai été accusé de complicité d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État en relation avec le pasteur Ntumi » – un opposant et chef de guerre dans la région du Pool. « Mais c’était un prétexte », répond Ghys Fortuné Dombe Bemba.
Son arrestation est survenue deux jours après la publication d’un numéro fracassant de Talassa sur les dérives du régime de Denis Sassou-Nguesso Sassou, président du Congo-Brazzaville depuis 1997. « Après interrogatoires, intimidations, placement dans plusieurs cellules, j’ai été enfermé à l’isolement… pendant 18 mois. »
Le numéro du 9 janvier a déplu au plus haut niveau de l’État
Qu’est-ce qui a déplu ? « Dans notre numéro du 9 janvier, nous avions publié cinq articles qui firent beaucoup de bruit dans le pays et qui ont franchement agacé au plus haut niveau. » L’un expliquait que le directeur général de la police nationale, le général Ndengué, et cinq autres officiers supérieurs étaient en activité alors qu’ils ont dépassé la limite d’âge autorisé pour la loi. Le général Ndengué et le porte-parole de la police, Monkala Tchoumou, n’auraient pas apprécié.
Autre point de friction, la dénonciation en règle des pratiques occultes et mystiques de plusieurs personnalités. Un sujet tabou, au Congo. « Il y a un courant qui mêle franc-maçonnerie, spiritisme, fétichisme au plus haut niveau de l’État et dont la pratique pousse à faire beaucoup de mal aux gens. » L’article nommait, là aussi, des autorités haut placé.
Talassa s’est fendu, également, d’une enquête sur les dessous de la rencontre factice de Denis Sassou Nguesso avec Donald Trump en décembre 2016 : parti aux États-Unis pour rencontrer le nouvel hôte de la Maison-Blanche, le président congolais n’avait pas été reçu par ce dernier alors qu’un communiqué officiel affirmait le contraire. « Une honte pour tout le Congo et un déplacement qui a coûté plusieurs milliards de francs CFA. J’ai demandé la démission de sept personnalités, toutes liées à ce voyage raté. »
Autre prise de risque : le choix de publier, non pas le discours à la nation du président Sassou Nguesso mais le message « de paix » de son ennemi de l’époque, le pasteur Ntumi.
Un succès immense pour cette édition
Le succès de cette édition fut foudroyant : « Elle a été tirée à 3 000 exemplaires. À 10 h 30, tout avait été vendu. On a sorti une deuxième édition, toujours de 3 000 exemplaires. À 17 heures, il n’y en avait plus un à vendre. Alors, j’en ai réimprimé 6 000 dans la nuit. Puis encore 6 000 : les 26 000 exemplaires ont été vendus. Et puis, j’ai été arrêté. »
Ghys Fortuné Dombe Bemba est donc jeté à l’isolement pendant 18 mois, sans procès, sans recours, sans jugements. « J’étais enfermé 23 h 50 sur 24 heures dans une cellule sans toilette, sans eau, sans électricité. Je faisais mes besoins dans un seau que je vidais lors des 10 minutes où j’étais autorisé à sortir. Interdit de discuter avec les gardiens. Et puis, les fourmis, les cafards, les rats, les souris, les lézards, les moustiques… Je couchais sur le sol. Aucune visite, sauf ma fille qui m’apportait de quoi manger deux fois par semaine et, rarement, quelques minutes, mes avocats. Ma cellule fuyait, dès qu’il pleuvait, j’étais mouillé de partout. »
À bout physiquement, le journaliste obtient un visa pour la France
Dans ces conditions, il tombe malade, attrape plusieurs pathologies. Sous la pression des ONG de défense des droits de l’Homme et de quelques officiels américains et français, Ghys Fortuné Dombe Bemba est hospitalisé pendant 26 jours, en février 2018. À peine remis, il est renvoyé dans sa cellule. Une nouvelle campagne de presse est organisée pour obtenir sa libération. Le 4 juillet, le juge ordonne sa liberté provisoire.
Le journaliste est épuisé. Il passe 40 jours à l’hôpital. Mais c’est insuffisant. Il obtient un visa pour la France pour s’y faire soigner. Arrivé le 18 octobre à Paris, il est soigné pour des problèmes cardiaques, de circulation sanguine et d’acuité visuelle. « Je récupère, peu à peu, explique-t-il. Et je me tiens tranquille. J’ai eu de la chance, je ne veux pas que ma famille restée au pays paie pour moi. »
Le pays, il y pense, toujours. Il tient à lui dire qu’il a pardonné à ceux qui lui ont fait du mal. Le journaliste a, pour l’heure, déposé les armes.