Le spectacle donné par le chorégraphe congolais, Delavallet Bidiefono, sur le thème « Neuf couches de rouge, la tchikoumbi furiosa », la semaine dernière à l’Institut français du Congo (IFC) de Brazzaville, a épaté les spectateurs.
Hugues Serge Limbvani, directeur du Centre de formation et de recherche en art dramatique, a loué la thématique. « Au moment où l’on parle des traditions rétrogrades, je pense que c’est une très belle idée et c’est bien joué. C’est pour nous rappeler que de nos jours, nous devons garder dans nos traditions ce qui est bien et enlever ce qui est mauvais », a-t-il indiqué.
C’est en collaboration avec les slameurs du Collectif Styl’oblique et Art plume (qui ont écrit des textes extraordinaires relatant cette place de la femme aussi bâillonnée et marginalisée), de la danseuse du groupe CAP Congo, Vesna Mbelani, et du groupe Peutch que Delavallet a donné le spectacle sur le Tchikoumbi, un rite d’initiation et de préparation de la jeune fille à son statut de bonne épouse au foyer.
Ce rituel qui perdure sous d’autres formes moins visibles et moins ritualisées fait écho à d’autres emprises sociales sur le corps de la femme. Le chorégraphe a constaté que la communauté des femmes se rebelle et résiste de plus en plus à ces pressions coutumières. Pour ce faire, il a organisé ce spectacle au cours duquel vingt artistes ont fait parler le corps d’une femme au nom de toutes. Une sorte de tragédie antique, dans un jeu de réponse entre le personnage féminin et la communauté.
Un rite victime du métissage culturel
Cependant, l’on constate petit à petit que ce rituel tend à disparaître, notamment du fait de l’urbanisation et des métissages culturels qui s’opèrent dans les grandes agglomérations. Mais, il n’en marque pas moins les mémoires et une certaine conception de la place de la femme dans la société vili. En effet, en tradition vili, quand s’ouvre ce rituel, c’est qu’un mariage se prépare en secret. Un futur époux a pu être repéré ou alors la jeune fille a fait l’objet d’une démarche de mariage. Elle est souvent prise par surprise pour être emmenée dans un lieu durant environ deux à trois mois pour lui apporter les bonnes valeurs indispensables à faire d’elle une grande femme, miroir de sa société. Avant le début de la cérémonie, les initiatrices ou matrones doivent se rassurer de la virginité de la jeune fille. Si elle ne l’est plus, l’on est forcé d’arrêter le rituel. Au nombre des vertus qui lui sont enseignées figurent l’éducation sentimentale et sexuelle, les règles de bonne conduite d’une épouse, les conseils alimentaires et esthétiques, la soumission, la solidarité et le respect, etc.
« J’avais vraiment envie de relater cela avec des danseurs et des slameurs de Brazzaville. Je suis super content de ce travail. Je suis ravi de voir cet engouement, cette énergie et surtout cette danseuse qui fait le solo, en dansant pendant une heure sans arrêter. Dire que c’est une danseuse congolaise de Brazzaville, c’est formidable. On n’a comme l’impression qu’on ne peut voir ça qu’à l’extérieur, je suis épaté », a déclaré Delavallet.
Vesna Mbelani, qui pour la circonstance a joué le rôle de la « Tchikoumbi », a émerveillé le public. « J’étais celle qui a subi le rituel de Tchikoumbi. A travers ce spectacle, je devais faire six mois dans une maison sans avoir le contact des personnes, juste de ma maman et quelques sœurs qui viennent me rendre visite. Je me sentais seule, de fois triste au point de s’affoler dans ma tristesse. C’est une prison, puisque je n’avais pas de contact avec le monde extérieur. Je me suis sentie à l’aise dans la peau de la Tchikoumbi », a déclaré Vesna Mélanie.
La partie musique qui a fait danser le Tchikoumbi était jouée par le trompettiste Mays. Lui qui ne fait pas partie du groupe de Delavallet, a pour le premier contact émerveillé le chorégraphe congolais. « Je dirai que nos étoiles sont en harmonie et je suis sûr que pour son prochain projet, je ferai partie, c’est ce que je souhaite. » Trompettiste professionnel depuis 1996, Mays a accompagné les grands noms de la musique congolaise, africaine et même mondiale, notamment Zao, les Bantous de la capitale, Roga-Roga, Meiwey, Kassav, Princesse Lover, Samba ngo du groupe Mbamina, etc, …
Qui est Delavallet ?
Né à Pointe-Noire où il passa les vingt premières années de sa vie, Delavallet Bidiefono est issu de la communauté vili, implantée dans le sud côtier du Congo. Après avoir appris la danse en autodidacte à l’étranger, il rentre au début des années 2000 pour s’installer à Brazzaville en vue de faire émerger son talent et sa passion pour la danse au niveau national. Artiste engagé, Delavallet a déjà connu plusieurs scènes internationales et collabore énormément avec d’autres artistes congolais.