La destitution du président de la transition burkinabè découle principalement, selon l’Ivoirien Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur senior à l’Institut d’Études en Sécurité (ISS), de sa promesse non tenue d’endiguer rapidement la menace terroriste après le coup d’État contre Roch Marc Christian Kaboré.
Le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba a été destitué par ses camarades du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR) qui lui reprochent ses choix inappropriés dans la lutte contre les jihadistes. Peut-on dire que sa chute était prévisible ?
Depuis plusieurs mois, l’opinion publique burkinabè critique avec véhémence le régime Damiba pour son manque de résultats tangibles sur le terrain sécuritaire. En janvier dernier, le MPSR a renversé le président élu Roch Christian Kaboré en invoquant son incompétence face à l’insécurité. Neuf mois plus tard, le MPSR avec à sa tête le lieutenant-colonel Damiba n’a pu faire mieux.
Le pays demeure l’épicentre des attaques jihadistes au Sahel. La quasi-totalité de ses 13 régions continue de subir l’insécurité et près de 2 burkinabè sur 10 ont fui leur lieu de résidence du fait de cette insécurité. Les compagnons de Damiba au MPSR le tiennent visiblement pour responsable.
Ces derniers mois, les rumeurs faisant état de tensions et de divergences au sein de l’organe militaire au sujet de certaines décisions se faisaient insistantes. Des tensions entre chefs des structures militaires sont par exemple apparues dans la conduite des opérations de lutte, notamment entre l’État-Major Général des Armées (EMGA) et le Commandement des Opérations du Théâtre National (COTN), propulsé par Damiba en première ligne.
Certaines informations faisaient état de profondes divergences sur la volonté de Damiba de renforcer la coopération avec l’armée française. De même, des mécontentements ont fait jour au sein de certains milieux de l’armée, suite aux dernières promotions au grade de général dont a été exclu le CEMGA au profit d’officiers du cercle amical de Damiba. Certaines options politiques du chef de la junte ne faisaient pas l’unanimité, notamment ses initiatives de réconciliation, plutôt perçus comme une tentative réhabilitation de Blaise Compaoré pourtant condamné par la Justice.
Les nouveaux putschistes peuvent-ils inverser la tendance dans la lutte contre le jihadisme ?
Les ex-compagnons de Damiba semblent justifier son écartement par une volonté de rectification de la trajectoire de lutte. Sera-t-elle efficace ? Il est difficile en ce moment de le présager. Toutefois, un ensemble de paramètres pourraient être déterminants. Ces groupes ont mis des années à s’installer dans le cadre d’un patient travail d’instrumentalisation des vulnérabilités au niveau local. Ils occupent le terrain depuis huit ans et contrôlent des pans entiers des économies locales.
Pour reprendre l’ascendant, il faudra du temps et il faudra un investissement important dans la gouvernance de la sécurité, mais aussi dans la gouvernance politique, sociale et économique. Il faudra une réelle stratégie globale qui s’inscrira forcément sur le moyen et le long terme.
Les attentes populaires sont plus que jamais élevées. L’opinion burkinabè, contrairement au cas malien, garde encore toute son influence sur le champ politique. La capacité des tenants actuels du pouvoir à créer un vrai consensus politique autour de leurs actions sera à cet égard déterminant.
Le Burkina était le moins acculé par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) parmi les trois pays ayant récemment connu des coups d’État. Avec le renversement du lieutenant-colonel Damiba, la donne peut-elle changer ?
La Cédéao, tout en restant fidèle à son principe de condamnation des prises de pouvoir par la force, a qualifié dans son communiqué d’inopportun ce nouveau coup d’État au Burkina. Son communiqué garde une tonalité menaçante à l’endroit des nouveaux tenants du pouvoir, notamment sur l’éventualité du non-respect du calendrier des deux ans de transition déjà conclu. L’attitude de la Cédéao pourrait en effet changer par rapport à un pays qu’elle considérait jusqu’à présent comme le bon élève en comparaison avec le Mali et la Guinée.
Toutefois, la Cédéao devra faire preuve de pragmatisme et éviter de s’engager dans une logique de confrontation qui, à l’expérience ces derniers temps, s’est montrée contre-productive. Elle devra au plus vite prendre attache avec les nouvelles autorités pour renégocier le respect des engagements des anciens acteurs.
À quelles répercussions peut-on s’attendre dans la sous-région ?
Le Burkina occupe une place stratégique du fait de sa position géographique en Afrique de l’Ouest. Il est au centre et partage des frontières avec 6 pays de la sous-région (Mali, Niger, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo et Bénin). Les développements récents liés à l’expansion des activités des groupes jihadistes dans les pays au Sud des frontières du Burkina (Côte d’Ivoire, Togo et Bénin) indiquent qu’une dégradation de sa situation constituerait une aubaine pour ces groupes. Ces derniers visent clairement à étendre leurs tentacules en Afrique de l’Ouest. La situation au Burkina devrait donc avoir des conséquences dans les pays limitrophes et au-delà. C’est intimement lié.