Alors que leur mandat doit expirer jeudi 30 juin 2022, les casques bleus engagés au Mali seront édifiés ce mercredi sur leur renouvellement ou non lors d’un vote du Conseil de sécurité des Nations unies.En avril 2012, le Mali est sous les décombres. Immense territoire du Sahel, ce pays se découvre comme un Etat failli. Des groupes jihadistes et rebelles s’emparent d’une grande partie du territoire malien et font régner leur loi, provoquant le coup d’Etat contre Amadou Toumani Touré (ATT). Président par intérim, Dioncounda Traoré accepte l’intervention de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies de stabilisation au Mali (Minusma), en plus de l’aide militaire de la France, pour aider son pays à retrouver sa souveraineté territoriale.
Le 25 avril 2013, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) est créée par la résolution 2100 du Conseil de sécurité de l’Onu. Les soldats onusiens ou casques bleus sont déployés ainsi avec des missions bien différentes que celles de leurs collègues français de l’opération Serval puis Barkhane.
« Guidées par trois principes fondamentaux que sont le consentement des parties, l’impartialité et le non-recours à la force (sauf en cas de légitime défense ou lorsque leur mandat le rend indispensable, les opérations de maintien de la paix sont devenues aujourd’hui polyvalentes et multidimensionnelle », décrit le rapport de la commission politique de l’assemblée parlementaire de la Francophonie sur les missions de maintien de paix de l’Onu.
Présenté en mars 2018 à Liège, en Belgique, par l’ancien député belge Alain Onkelinx, le document indique que « ces opérations sont appelés à maintenir la sécurité, mais aussi à faciliter le processus politique, à protéger les civils, à aider au désarmement, à la mobilisation et à la réinsertion des anciens combattants, à soutenir l’organisation d’élections libres, à protéger et à promouvoir les droits de l’homme et à rétablir la primauté du droit ».
Un bilan mi-figue, mi-raisin
Neuf ans après, la Minusma fait partie des treize opérations de l’Onu encore actives dans le monde. Mais pour quel bilan ?
« Remplaçant sur de nombreux plans l’Etat malien défaillant, la Minusma a rempli à minima, en lien avec d’autres acteurs y compris parmi les groupes armés signataires, des missions régaliennes : patrouille de présence, accompagnement et montée en gamme des forces de sécurité, accompagnement des populations isolées ou fragiles, accompagnement des autorités politique dans le cadre des accords d’Alger, fournitures de services de base au bénéfice des populations et médiation entre groupes armés signataires », souligne dans un document transmis à APA, Amanar-Advisor, cabinet d’intelligence stratégique et de veille sur le Sahel, basé à Strasbourg, en France.
En septembre 2013, le Mali est revenu à un ordre constitutionnel marqué par l’élection d’Ibrahim Boubacar Keita comme président de la République, à l’issue d’un scrutin à deux tours. En 2015, un accord est trouvé entre Bamako et des rebelles indépendantistes pour un retour progressif vers la paix au nord Mali. Il s’agit de l’Accord d’Alger.
Par contre, la situation sécuritaire ne s’est pas améliorée. Délogés des villes du nord, les jihadistes ont créé des foyers de tension dans le centre et ont même exporté l’insurrection en dehors du territoire malien. Ils ont remis en cause l’efficacité de la présence de l’opération Barkhane qui a remplacé l’intervention Serval en 2014 et l’action de la Minusma même si celle-ci n’est pas censée faire du contreterrorisme.
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La montée de l’insécurité sera d’ailleurs l’une des causes de la déposition d’Ibrahim Boubacar Keita en août 2020 par des colonels qui, neuf mois plus tard, écartent le président de la transition Bah N’daw et son Premier ministre Moctar Ouane pour s’installer au pouvoir.
En réaction, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a exigé l’organisation d’élections dans un délai raisonnable pour la transmission du pouvoir aux civils, sous peine de sanctions. Une étape qu’elle franchira le 9 janvier 2022 en prononçant un embargo sur le Mali, après le report des élections présidentielle et législatives initialement prévues en février 2022.
En conflit depuis peu avec Bamako après qu’elle a décidé de réarticuler l’opération Barkhane, Paris appuie cet embargo. Cette position braque davantage la junte malienne qui, non seulement, dénonce les accords militaires liant le Mali et la France depuis 2013, mais compromet également la conduite des opérations de la Minusma dont le mandat prend fin le 30 juin 2022.
La Division des droits humains de la Minusma n’a plus carte blanche pour enquêter sur tous les cas d’atteintes ou violations des droits de l’Homme qui lui sont rapportés. Après des allégations d’exactions contre des civils à Moura (centre), lors d’une opération de l’armée malienne accompagnée d’éléments de la compagnie militaire controversée russe Wagner, les enquêteurs de l’Onu n’ont pas été autorisés à effectuer le déplacement sur le site pour « établir les faits ». À cela s’ajoute le blocage par Bamako, depuis février 2022, de la rotation de 2480 casques bleus de sept pays d’Afrique de l’Ouest, membres de la Cedeao.
Malgré ces difficultés à mener convenablement sa mission sur le terrain, l’Organisation des nations unies n’a pas l’intention de quitter le Mali où elle compte à ce jour 12.266 militaires, 1720 policiers et 1180 civils déployés sur douze sites répartis en secteurs entre le nord et le centre.
La Minusma, objet de débat à l’Onu
Le 13 juin, lors de la réunion d’information sur le Mali au Conseil de sécurité, le diplomate mauritanien El Ghassim Wone, chef de la Minusma, a formulé le besoin de prolongation du mandat de la force onusienne. Pour lui, sa présence est « aussi nécessaire que jamais » parce que les civils n’ont jamais été aussi vulnérables.
La dernière note trimestrielle de la Minusma a relevé 449 actes de violences affectant un total de 812 civils dont 543 décès imputables aux groupes armés jihadistes et aux forces de défense et de sécurité maliennes. Le rapport présenté par son représentant au Mali plaide aussi pour l’augmentation des effectifs de la Minusma de 2069 personnes en uniforme.
En outre, le Conseil de sécurité devrait normalement renouveler le mandat de la Minusma pour une année supplémentaire. Bamako y est favorable sous quelques conditions. « Pour le Mali, il est essentiel que le mandat soit centré sur la protection des populations civiles et l’appui à l’établissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble de son territoire », a affirmé le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, au siège de l’Onu, à New York.
Selon le chef de la diplomatie malienne, « il est indispensable de mieux définir et articuler la notion de protection des civils dans un contexte de guerre asymétrique ».
Poursuivant, il a invité la Minusma à « prendre en compte la montée en puissance des forces de défense et de sécurité, qui sont désormais en première ligne face aux groupes terroristes ». Ces exigences risquent de transformer considérablement la mission onusienne qui doit désormais se passer du soutien de la Force Barkhane.
« Dans le cadre du renouvellement sus-indiqué sur mandat de la Minusma et l’appui aérien de Barkhane, le Gouvernement du Mali exprime son opposition ferme à l’intervention sur son territoire de la Force Barkhane, après la décision unilatérale de retrait de ladite force et la dénonciation par le Mali des accords de défense avec la France », a rappelé Abdoulaye Diop le 13 juin, appelant « au respect de la souveraineté du Mali et des décisions prises par les autorités maliennes à cet égard ».
Il a assuré que Bamako mettra tout en œuvre pour assumer la responsabilité qui lui incombe d’assurer la sécurité du personnel déployé au Mali.
Fragile après le départ de Barkhane ?
Depuis l’annonce en juin 2021, du retrait de la France du Mali, les attaques contre les casques bleus ont connu une hausse.
Chercheur sénior à Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED), Héni Nsaibia affirme avoir dénombré 55 attaques, occasionnant une vingtaine de victimes (voir graphique). Mission onusienne qui a subi le plus de pertes en vies humaines, la Minusma a déploré 257 décès de casques bleus depuis 2013. Un chiffre qui risque d’aller crescendo si des alternatives ne sont pas trouvées à l’appui de la France.
Pour le Cabinet Amanar Advisor, « l’efficacité de la Minusma après le départ de Barkhane ne passe que par un renforcement ». Ce renforcement parait nécessaire avec la réquisition par l’Ukraine de ses six hélicoptères mis auparavant à la disposition de la Minusma.
Graphique représentant le nombre d’attaques et de morts subis par la Minusma
Dans ce contexte, la décision de l’Allemagne de « renforcer son contingent pour notamment assurer la protection de la plateforme aéroportuaire du Supercamp de Gao » est une bouffée d’oxygène. « Mais, des compétences vont rester en souffrance », reconnaît Amanar-Advisor qui fait allusion à « certaines fonctions supports critiques, comme le soutien sanitaire » qu’assurait Barkhane.