Evadés il y a une semaine du camp de Roux à Bangui, les rebelles congolais Freddy Libeba et Alexandre Mitshiabu affirment être sur le territoire de la RDC. Les deux hommes avaient été arrêtés en juin 2017, soupçonnés de vouloir recruter des mercenaires et de préparer des plans de déstabilisation de la RCA. Que faisaient-ils en RCA ? Quelles étaient leurs relations avec les groupes armés centrafricains ? Comment se sont-ils évadés ? Freddy Libeba livre sa version.
A l’autre bout d’un téléphone satellite, Freddy Libeba Laongoli affirme avoir regagné le territoire de la RDC. Où ? « C’est secret. On a quitté la RCA pour rejoindre nos hommes en RDC », concède simplement cet ancien colonel originaire de la province de l’Equateur. Il affirme être à la tête de son propre groupe rebelle, « l’Armée libre kongolaise », et tient à raconter son histoire.
9 Juin 2017. Freddy Libeba vit clandestinement à Bangui depuis 2013 sous l’identité de Jean-Philippe Yapende. Son compatriote Alexandre Misthiabu l’a rejoint « il y a deux ou trois ans ». Les deux hommes sont devant le Stade 20 000 Places de Bangui. Ils discutent quand la police les arrête puis les conduits à l’OCRB (Office central de répression du banditisme). Le ministre de l’Intérieur en personne, Jean-Serge Bokassa, dirige alors les opérations. « L’OCRB a perquisitionné nos maisons le soir même, mais ils n’ont rien trouvé de suspect, pas de trucs militaires, rien », commente l’ancien colonel en cavale. « La RCA, c’était notre base arrière. J’ai une femme ici. On faisait notre truc. Mais on était là pour le Congo, pas pour la RCA. » Selon ses dires, Libeba et ses hommes préparent alors une opération en territoire congolais pour le 30 juin, date anniversaire de l’indépendance de la RDC. « Des officiers devaient nous rejoindre, mais on a été trahi. Par qui ? On ne sait pas. »
« Zoundeko, c’était un ami »
Les autorités centrafricaines sont en effet prévenues que quelque chose se trame. « Ils avaient apparemment des informations selon lesquelles on était en complicité avec la Seleka pour déstabiliser la Centrafrique. Mais c’est faux. D’ailleurs après 7 mois d’investigations, ils n’ont rien trouvé là-dessus. Ils ont trouvé que nous, ce qui nous intéresse, c’est le Congo. On a passé pas loin de deux semaines à l’OCRB. Ils nous ont posé des questions sur nos relations avec Noureddine [Adam, chef du FPRC, faction issue de l’ex-Seleka, NDLA] et les autres chefs de guerre. Noureddine ou Abdoulaye Issène, je les ai rencontrés à l’époque où je suis arrivé, ils étaient au pouvoir. Mais non, on ne s’est pas mélangé pour faire quelque chose avec eux. On était en relation avec Zoundeko [Joseph Zoundeko, un des chefs historiques de la Seleka, leader du RPRC, tué en février 2017, NDLA] parce que c’est lui à l’époque qui contrôlait le secteur Mobaye–Mbongo [à la frontière avec la RDC, NDLA] avec Ali Darass. Mais lui je ne lui ai jamais parlé. Zoundeko, c’était un frère, un ami, paix à son âme. C’était un type bien. Il nous a beaucoup aidés (…) Mais la RCA c’était juste notre base arrière, nos relations avec Zoundeko c’était juste pour le passage. » Au cours de l’entretien, Libeba martèle que son affaire ne concerne en rien la RCA. Pas question de recruter des mercenaires centrafricains pour faire le coup de feu du côté congolais de la rivière Oubangui.
L’évasion
Le 17 janvier dernier, Libeba et Mitshiabu parviennent à s’évader dans des circonstances que la justice centrafricaine essaie encore d’établir précisément. Selon une source proche de l’enquête, les deux hommes sont extraits de leur prison et emmenés sous escorte par un médecin militaire chez lui pour y être examinés. Toujours selon cette source, l’officier centrafricain aurait renvoyé l’escorte et permis, volontairement ou non, l’évasion des deux Congolais. Il a été placé en garde à vue dès l’évasion connue, tout comme les gardes. Mais cette version, Libeba la dément. « Il n’y a pas de complicité du médecin. Oui, il y avait des gardes et il les a fait sortir. Un médecin ne peut ausculter en présence d’autres gens. C’est dans le serment d’Hippocrate. Le médecin a été arrêté injustement. Les militaires avec nous ne savaient rien de notre évasion. Le médecin nous a emmenés chez lui, mais il habite à 10 m de l’hôpital, dans la même concession. Il est innocent ». Le Congolais en cavale ne détaillera pas davantage son évasion.
« Kabila ne respecte aucun engagement »
Durant la détention de Freddy Libeba et d’Alexandre Mitshiabu, le ministère congolais de la Défense demande dès le 12 juin, par une note verbale à Bangui, de lui remettre les deux hommes qu’il qualifie de « terroristes ». « La RDC a essayé de nous rapatrier, mais ça n’a pas marché parce qu’il y avait les gens des droits de l’homme de l’ONU qui suivaient le dossier. Le CICR aussi, et beaucoup d’autres organisations. » Invoquant l’article 64 de la Constitution de la RDC pour s’octroyer une légitimité à prendre les armes contre le régime Kabila, Libeba se défend : « Nous ne sommes pas des terroristes. Nous sommes des fils du pays. C’est dans la Constitution, si celui qui est au pouvoir ne respecte pas la Constitution, le peuple a le droit de prendre ses préoccupations en main ». Que pense-t-il du processus politique en cours dans son pays, de l’accord de la Saint-Sylvestre et des élections programmées pour la fin 2018 ? « Sans coup de botte, Kabila ne peut pas partir. Kabila ne respecte aucun engagement. On le connaît très bien, on était dans l’armée avec lui. Le 21 janvier, il a jeté des bombes lacrymogènes dans des églises. Il fait tirer des balles réelles et des lacrymogènes sur des gens qui marchent avec des bibles ! »
Au moment de l’arrestation en juin 2017, Freddy Libeba et Alexandre Mitshhiabu sont présentés comme appartenant à un mouvement politico-militaire dirigé par un autre officier supérieur congolais en rupture de ban, John Tshibangu, lui-même réputé proche du M23. Aujourd’hui Freddy Libeba dément avoir été envoyé à Bangui par Tshibangu, comme ce dernier l’affirmait pourtant. « C’est un frère de lutte. Dans la lutte il y a des alliances. S’il veut éloigner Kabila, on peut faire quelque chose ensemble. Mais ce n’est pas lui qui nous a envoyés. En tout cas l’heure n’est pas à la polémique », conclut Freddy Libeba.