Analyste politique, docteur en économie, Gilles Yabi directeur du think tank ouest africain Wathi, décrypte pour APA News l’élection présidentielle française de ce dimanche vue d’Afrique.Pourquoi l’élection présidentielle organisée en France, dont le premier tour est prévu dimanche 10 avril, intéresse-t-elle les Africains ?
Toute l’Afrique ne s’intéresse pas de la même manière à la vie politique française. Ce sont les pays qui ont des relations particulières avec la France notamment les anciennes colonies françaises qui s’intéressent à l’élection organisé ce dimanche.
Je ne suis sûr qu’au Botswana, en Afrique du Sud ou au Kenya, on s’intéresse à cette présidentielle. Par contre, dans les pays africains francophones, il y a toujours un intérêt à la vie politique française, dans la mesure où celle-ci a, souvent, un impact sur les développements politiques, économiques et sécuritaires dans ces pays. C’est donc normal que ce qui se joue en France soit toujours surveillé par les élites dirigeantes des ces pays francophones africains
Quelle est la place de l’Afrique dans la campagne électorale pour cette présidentielle en France ? Est-elle centrale ou marginale ?
Dans tous les pays du monde, les électeurs ont tendance à se focaliser sur les questions qui ont un impactent direct sur leur vie quotidienne: l’économie, l’emploi le chômage, parfois aussi les problèmes de sécurité intérieure.
Cette élection présidentielle en France intervient, cependant, dans un contexte particulier.
Au-delà des questions habituelles économiques, sociales ou de politiques intérieure, il y a la guerre entre la Russie et l’Ukraine qui déstabilise profondément l’Europe et qui a des impacts économiques immédiats, y compris sur les questions énergétiques. C’est donc naturellement que la guerre en Ukraine s’est imposée comme sujet majeur de la campagne présidentielle en France. Cette situation pourrait d’ailleurs être une des raisons qui expliquent que l’Afrique soit moins présente dans cette campagne que d’habitude.
Pourtant, on aurait pu avoir un sujet comme la guerre contre les groupes jihadistes au Mali, comme sujet important dans cette campagne présidentielle. Mais le désengagement militaire de la France au Mali plusieurs mois avant cette présidentielle a permis de sortir ce dossier très important et sensible à la fois du débat entre les candidats. Le sujet n’aurait pas plaidé en faveur d’Emmanuel Macron, le président sortant, face à ses adversaires.
Comme par le passé, le seul élément qui tient à la fois de la politique intérieure et extérieure est la question de l’immigration. Et Comme d’habitude, le sujet tient une certaine place dans les discours de campagne d’une partie des candidats, surtout ceux situés à l’extrême droite de l’échiquier politique. Les propos particulièrement outrageants tenus sur la question par un candidat comme Eric Zemmour illustre parfaitement l’obsession qu’entretient l’extrême-droite française autour de l’immigration.
Dans son discours à l’université de Ouagadougou, Burkina-Faso, six mois après son entrée à l’Elysée, Emmanuel Macron avait annoncé « la fin de la politique africaine de la France ». A-t-il tenu promesse ?
J’ai l’impression qu’il s’agissait d’un lapsus lorsque le président Macron déclarait la fin de la politique française en Afrique. On s’est demandé qu’est-ce qu’il voulait dire exactement.
Tous les pays ont des politiques extérieures en direction des différentes parties du monde. Cela n’a pas de sens de parler de la fin de la politique française en Afrique, puisqu’il y a toujours à l’égard des pays africains une politique et au-delà à l’égard du continent de manière plus global. Je crois qu’il voulait dire plutôt la fin de la « France-Afrique », ce modèle de rapports qui remonte aux indépendances et qui est basé sur une conception particulièrement inégalitaire, donc, contestable des relations entre la France et ses anciennes colonies africaines. Je crois que c’est ce qu’il voulait dire. Est-ce qu’il a tenu promesse ? Je ne le pense pas.
Pour revenir au fameux discours de Macron devant les écrivains de l’université de Ouagadougou, il a été prononcé dans un contexte où ce pays et la sous-région étaient dans une situation nettement différentes celle qui y prévaut aujourd’hui. Des coups d’état ont renversé les régimes qui étaient en place à Bamako, à Conakry et à Ouagadougou. Il y a une forte très tension entre la France et le Mali. Les opinions publiques dans beaucoup de pays du Sahel et en Afrique expriment, aujourd’hui, des positions très négative sur l’influence française. À mon avis, la perception africaine n’est pas celle d’un changement profond dans la politique africaine de la France. Je pense qu’on a retrouvé avec le président Emmanuel Macron, dans le ton et un peu dans les formes, les mêmes tendances qu’on dénonçait jusque-là qui donnaient l’impression que le continent africain est traité avec condescendance et pas de la même manière que d’autres régions du monde.