Cofondateur de Sowit, une entreprise qui met la technologie au service du développement de l’agriculture africaine, Hamza Rkha Chacham, dans un entretien accordé à APA en marge de la 8e Conférence annuelle sur la sécurité et la paix en Afrique tenue récemment à Rabat (Maroc), estime que le continent noir doit se démarquer.Quelles menaces le changement climatique fait peser sur l’agriculture africaine ?
Elles se situent à trois niveaux. Le premier, c’est une contrainte extrême sur les ressources naturelles. On le voit en Afrique du Nord, mais aussi en Afrique de l’Ouest. Au Sénégal par exemple, la zone des Niayes, une bande côtière allant de Dakar (Ouest) à Saint Louis (Nord), était plutôt bien pourvue en eau. Aujourd’hui, il n’y a plus là-bas un confort hydrique à cause de l’urbanisation galopante, de la consommation assez forte de la ressource en eau et du changement climatique.
Le deuxième niveau, c’est la capacité d’adaptation de l’agriculteur. Celui-ci a rarement été en position de cultiver dans ces conditions. Dans le passé, très peu d’agriculteurs ont fait face à des températures dépassant les 50 degrés. Par conséquent, la plupart d’entre eux ne savent pas comment réagir pour maintenir en vie leurs cultures. Il faut donc les aider à adopter de bonnes techniques et réflexes de culture dans ces conditions inédites.
Actuellement, la population de l’Afrique est en constante hausse. Il faut nourrir tous ces gens en intensifiant l’agriculture. Toutefois, cette stratégie nécessite plus d’intrants, d’engrais, de produits phytosanitaires… comme on le constate en Europe ou en Asie. Une agriculture qui consomme beaucoup de ressources et accentue le réchauffement climatique. Quelle doit alors être la voie du continent noir ? C’est là le troisième niveau, le plus important par ailleurs, de mon raisonnement.
L’Afrique doit faire quoi maintenant ?
S’adapter en trouvant sa propre voie en matière agricole. Certains agriculteurs du continent se sont déjà inscrits dans cette dynamique. Pourquoi cultiver du blé et non du sorgho ? Pourquoi planter 1000 manguiers par hectare quand 200 permettent de limiter la pression sur la ressource hydrique ? Pourquoi pratiquer la monoculture quand la diversification valorise de manière continue un champ ? Pourquoi renoncer à l’agroforesterie quand elle procure un microclimat favorisant la productivité des cultures végétales ? Voilà autant de questions qu’il faut absolument se poser.
En Afrique, il y a un manque de confiance, un déficit de financement et surtout un manque de compétitivité. Face à la concurrence des producteurs étrangers qui pratiquent le dumping économique (consistant à vendre à des prix inférieurs à ceux du marché local), qui bénéficient de subventions de leurs gouvernements et disposent suffisamment d’intrants, l’agriculteur africain n’aura jamais le temps d’affirmer cette voie-là. En privilégiant les produits importés souvent à moindres coûts pour les raisons tantôt évoquées, on limite les capacités de l’agriculture africaine.
Sur les 800 millions d’hectares cultivés en Afrique, seuls 12 sont équipés de réseaux d’irrigation. La moitié de ceux-ci se trouvent en Egypte, au Maroc et en Afrique du Sud. Dans les autres pays, moins mécanisés et avec un accès limité aux semences voire à l’information, c’est plus compliqué. Des efforts sont néanmoins faits pour rattraper le train afin d’atteindre l’autosuffisance alimentaire impossible à réaliser en quelques mois.
En attendant, la résilience semble être le maître-mot ?
La période de soudure, séparant la fin de la consommation de la récolte de l’année précédente et l’épuisement des réserves des greniers de la récolte suivante, est une souffrance dans de nombreux pays africains.
Ça risque de s’exacerber sur le continent du fait entre autres de l’insécurité, du changement climatique et de la lente diffusion des savoir-faire. Les populations, déjà aux limites de leurs capacités pour certaines, sont malheureusement appelées à être plus résilientes.
Au Sahel, la mise en œuvre de la Grande muraille verte ou de l’initiative alpha de l’Union Européenne (UE) et de l’Union Africaine (UA) visant à reverdir ce territoire aride tout en favorisant des projets de production végétale est relativement lente.