Le professeur Théodore Holo a fini son mandat à la tête de la Cour constitutionnelle. A la veille de la passation de charges à la nouvelle équipe des « sages », il a accepté de se soumettre à nos questions, tout en nous avertissant : « Je ne parlerai de personne d’autre que moi ». « J’ai une obligation de réserves pour les cinq années à venir », poursuit-il, avec sa légendaire mine sérieuse. Homme de principe pour ceux qui le connaissent, il n’a pas démordu.
Il est vrai que votre nom a dépassé les frontières du Bénin. Mais que diriez-vous de votre vie professionnelle et politique à qui veut savoir ?
Je suis professeur titulaire de droit public et de sciences politiques. J’ai fait mes études universitaires au Congo Brazzaville puis à Paris I. De retour au Bénin en 1979, j’ai été dans le comité de gestion de l’Institut national des sciences administratives et juridiques dont je suis devenu le directeur adjoint avant d’occuper le poste de directeur de l’Ecole nationale d’Administration et de Magistrature. J’ai ensuite été membre du présidium de la Conférence nationale des forces vives de 1990, membre du bureau du Haut Conseil de la République, membre du premier gouvernement du président Nicéphore Soglo en qualité de ministre des Affaires étrangères et de la Coopération de juillet 1991 à septembre 1993, puis ministre chargé des relations avec les institutions et ministre intérimaire de la Justice. Quand nous avons perdu l’élection de 1996, je suis retourné à l’Université où j’ai lancé la Chaire Unesco des droits de la personne et de la démocratie. Puis en 2008, le président Yayi Boni m’a fait l’honneur de cautionner ma désignation par le bureau de l’Assemblée nationale pour siéger à la Cour constitutionnelle de 2008 à 2013.
Pendant cette époque, j’étais aussi président de la Haute Cour de Justice puis de 2013 à 2018, j’ai été président de la Cour constitutionnelle.
En somme, un parcours riche. L’aviez-vous imaginé ainsi, alors que vous étiez jeune étudiant ?
C’est peut-être une volonté qui a rencontré un destin. Puisque déjà étudiant, j’étais responsable d’association. Etudiant à Paris, j’étais dans le comité exécutif de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France et quand je suis rentré en 1979, j’ai milité dans un parti clandestin. J’avais des convictions et des engagements. Le champ politique ne m’était alors pas étranger. J’ai donc eu un parcours de militant en tant qu’étudiant, puis dans la clandestinité et avec l’avènement du multipartisme, j’ai affiché mes convictions au grand jour.
Des convictions politiques mais aussi des convictions morales. Il est dit de vous que vous avez le fer au poignet !
C’est une question d’éducation. Les personnes de notre génération ont eu la chance d’avoir une éducation qui mettait l’accent sur la conscience civique. J’ai eu la chance d’avoir commencé depuis la maternelle chez les religieux jusqu’en classe de Première où je suis allé au Lycée Béhanzin. On nous a inculqué des valeurs et je suis attaché à ces valeurs. « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, il faut être honnête, rigoureux, juste, ponctuel… ». C’est pour tout cela que je n’aime pas tricher avec la vérité. J’ai horreur de l’injustice et quand je sens que quelqu’un est brimé, spontanément je me porte à son secours. Je n’aime pas non plus brimer les autres. Quoiqu’il se puisse que de façon inconsciente, je l’ai fait. Mais ce ne sera jamais de façon spontanée. On me reproche même de n’être pas capable de tuer une mouche. C’est ainsi que je suis. C’est ma conviction, je tiens à la vie, je respecte la vie, car c’est Dieu qui la donne et c’est lui seul qui peut la retirer.
Vous avez fini votre mandat à la Cour constitutionnelle. Bientôt, les législatives puis la présidentielle. Avez-vous des ambitions politiques ?
En 1996 déjà, il m’avait été demandé d’être candidat à l’élection présidentielle. J’ai dit que cela ne m’intéressait pas. D’autant plus qu’avec le président Soglo, on était en pleine campagne et nous œuvrions pour qu’il puisse être réélu. D’aucuns pensaient qu’après 1996, j’allais être le dauphin. En 2001, on m’a fait des propositions pour que je sois candidat tout financement pris en charge, j’ai renoncé. En 2005, il m’a été rapporté par un de mes collaborateurs de l’époque, Victor Topanou qui était alors secrétaire scientifique de la Chaire Unesco, que des dockers auraient dit que le professeur Holo ferait un bon candidat pour l’élection présidentielle et d’autres auraient demandé si j’ai de l’argent. Voilà moi, je n’ai pas de l’argent. Puis en 2015, pendant longtemps, le président Boni Yayi m’a sondé pour savoir si j’étais intéressé par la fonction. J’ai dit : « Non ! Cela ne m’intéresse pas ». Heureusement, j’ai déjà 70 ans maintenant et en 2021, j’aurais 73 ans. Je n’ai plus aucune ambition politique, ni pour les élections législatives ni pour l’élection présidentielle. Je suis un homme de principe.
Très rigoureux, vous seriez aussi très humoristique, il paraît !
Oh oui ! J’adore blaguer. Je me souviens que j’avais reçu avec mon épouse le père Jacob Agossou de Bon Pasteur à ma résidence. Il a été surpris de voir combien je pouvais être drôle. Quelques jours après, nous étions à l’Eglise, il célébrait la messe, il me montre au père concélébrant, lui dit quelques mots et ils se marrent. Je lui ai demandé à la fin de la messe pourquoi il me montrait à la messe et il m’a répondu qu’il disait à son confrère : « Tu vois ce monsieur sérieux qui a l’air très dur, mais qu’est-ce qu’on se marre quand on est à sa table ! Tu ne vas pas le reconnaître ». Très souvent, les gens qui me voient ont le sentiment que je ne sais pas sourire. Même ma fille, mon aînée, à 5 ans me demandait : « Papa, tu ne sais pas rire ? » Mais quand on est proche de moi, on le remarque : j’adore raconter des histoires, j’adore faire des blagues. Chacun de nous a sûrement ces deux facettes. Il y a la posture que j’adopte quand je suis au travail. Mais il faut un temps pour se décompresser. A la Cour, quand je sens qu’il y a de la tension, il m’arrive de raconter de petites histoires. Même les grands hommes le font. Le président Kérékou a la mine sévère mais un jour je me souviens, au niveau du Haut conseil de la République j’ai raconté une histoire. Il m’a fixé et j’ai cru qu’il me regardait méchamment. Il me dit : « Vous savez ? ». Je pensais qu’il voulait me blâmer. Finalement, il raconte une histoire mais il ne rit pas. Chacun de nous a des occasions de détente.
Quels ont été les moments forts de votre parcours ?
Ma vie a été des occasions de défis. J’ai eu la chance d’étudier loin de mon pays et de ne pas avoir la mentalité de dépendre des autres ou d’aller demander des services. Quand vous vous retrouvez en Europe à cette époque, ce n’est que par votre propre travail que vous pouvez réussir. Et quand vous n’avez pas de bourse, vous apprenez à vous prendre en charge. Ce n’était pas facile mais j’y suis arrivé. Ensuite, la conférence nationale a été le moment de mettre en œuvre mes convictions. Et avec l’accompagnement que j’ai eu par la suite dans mes responsabilités politiques, j’ai été fidèle à ces principes. Ce sont des moments forts.
Par ailleurs, au niveau de la Cour constitutionnelle, il y a eu des moments d’échanges et d’épreuves, mais nous sommes toujours arrivés à trouver un consensus utile pour la préservation de la paix et dans le respect de l’Etat de droit et de la démocratie. Ce sont des moments passionnants qui ont permis de mettre en œuvre mes convictions et de montrer que je n’ai pas besoin de tricher avant de réussir dans la vie, de montrer que malgré les épreuves, on peut rester fidèle à ses convictions. Ce n’est pas toujours facile parce qu’on n’est pas toujours compris. Et, à des moments donnés, certains ont cru qu’on s’insurgeait contre eux. Mais bien après, ils se sont rendu compte de ce que nous leur avons rendu service. Ainsi va la vie et c’est ce que j’appelle le jugement de l’histoire.
Des épreuves, des moments moins forts ?
Je suis un homme comblé, ma vie familiale me rend heureux. Je rends grâce de n’avoir pas eu d’enfants décédés qui pourrait créer une souffrance intérieure. Je rends grâce à Dieu pour avoir eu toutes ces facilités. Même quand je trébuche, quand Dieu m’envoie des épreuves, je me dis que c’est l’occasion pour moi d’enlever les « é » de ces épreuves pour donner à Dieu la preuve de ma foi, de mes convictions et de ne jamais renoncer. Les moments difficiles sont pour moi des moments de foi et de conviction pour relever le défi quotidien.