Machettes, tessons de bouteille, bois, pierres et bien d’autres objets tranchants, sont les outils donc se servent ces hors-la-loi.
Depuis quelques années, des jeunes gens souvent munis d’armes blanches font parler d’eux dans les grandes villes du pays, surtout dans la capitale où des paisibles citoyens sont parfois tués ou agressés à longueur de journée. Constitués en gangs, ils sont reconnus à travers les appellations « Bébés noirs », « Arabes et Américains ».
Souvent flanqués de machettes, tessons de bouteille, bois, pierres et bien d’autres objets tranchants, les hors-la-loi continuent de semer la terreur et la désolation dans les quartiers périphériques de Brazzaville où ils opèrent. Dans le but d’éradiquer le phénomène dit de « Bébés noirs » ou de «Kuluna », les autorités congolaises lançaient, le 11 mai dernier, une opération dite « Patrouille judiciaire ». « Les bébés noirs sont des terroristes. Je dis bien les bébés noirs ne sont que des terroristes : ils tuent, ils pillent, ils violent les femmes. Nous allons combattre, dès cet instant, les bébés noirs et leurs complices, et nous allons les mettre hors d’état de nuire », déclarait le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Brazzaville, André Ngakala Oko, lors du lancement de cette opération.
En effet, il s’agit des jeunes dont l’âge varie entre 13 et 30 ans opérant de nuit comme de jour dans pratiquement toute Brazzaville, même si la partie nord vole la vedette, au regard du nombre des crimes commis. Aujourd’hui, près d’un an après, le phénomène prend de plus en plus de l’ampleur car chaque jour qui passe, des sorties musclées de ces gangs sont signalées dans les 6e, 7e et 9e arrondissements de Brazzaville avec autant de dégâts que cela peut causer. De même, des affrontements opposant les « Américains » aux « Arabes » sont souvent évoqués dans les quartiers nord, se soldant parfois par des pertes en vies humaines et des blessures graves.
A titre d’illustration, le 23 février dernier, une altercation entre deux bandes rivales du quartier Jacques-Opangault faisait deux morts pendant les combats et un troisième, un « Arabe », blessé à la machette, succombait quelques minutes après. Le jour suivant, les « Arabes » revenaient au combat et prenaient leur revanche. Un membre du groupe dit des « Américains » était sauvagement assassiné, presqu’au même endroit.
À quand le premier procès d’un « Bébé noir » ?
La session criminelle de la Cour d’appel de Brazzaville qui s’est ouverte le 29 mars, au Palais de justice, a inscrit une centaine d’affaires à son ordre du jour, parmi lesquelles, celles relatives aux cas d’assassinat, meurtre, viol, vol et autres crimes. Alors peut-on espérer voir la comparution d’un « Bébé noir » devant les juges pour répondre de ses actes ? La question mérite d’être posée d’autant plus que du côté de la Force publique, l’on s’indigne du fait que lorsque les présumés auteurs sont mis aux arrêts et transférés au parquet, ils sont souvent libérés sans procès.
« Que devons-nous faire des bébés noirs ? », s’interrogeait un commissaire de police à Brazzaville, pointant du doigt le parquet de cette ville qui, souvent, libère les auteurs de ces actes crapuleux, une fois transférés à la Maison d’arrêt.
Le directeur général de la police, le général Jean François Ndengué, soulignait lui aussi, lors d’un séminaire organisé en partenariat avec l’Observatoire congolais des droits de l’homme et l’Union européenne sur les droits de l’homme justement, que la police ne pouvait pas éradiquer seule le phénomène « Bébés-noirs » qui empoisonne la société congolaise. C’est ainsi qu’il en appelait à l’implication des ONG de défense des droits de l’homme, soutenues par des partenaires.
Interpellé récemment par des sénateurs sur la question de libération des « Bébés » noirs une fois qu’ils sont appréhendés, le ministre de l’Intérieur et de la décentralisation, Raymond Zéphirin Mboulou, a relevé que Congo ne disposait pas de centres appropriés pour la détention des délinquants mineurs. Selon lui, les phénomènes « Bébés noirs » à Brazzaville et «Armées de rails » à Pointe- Noire, constituent actuellement un véritable problème social que le gouvernement s’emploie à combattre. Il a, par ailleurs, annoncé que le gouvernement était en train d’examiner les possibilités de construction des centres d’incarcération de ces bandits dont l’âge oscille entre 15 et 16 ans et que la législation du pays n’autorise pas la garde dans les geôles. Mais, il reconnaissait que les actes criminels posés par les délinquants mineurs ne pouvaient en aucun cas laisser la police les remettre à la disposition de leurs parents.
« Le pays ne dispose par de structures adaptées de correction de cette catégorie de malfrats. Ce qui fait que lorsque la police appréhende ces bébés noirs, elle se trouve dans l’obligation de les remettre à leurs parents. Une fois relâchés, ces brigands ont l’obligation de se présenter devant les instances judiciaires pour des besoins d’enquête », avait-il notifié, incriminant les parents qui n’ont pas su inculquer à leurs progénitures une éducation conséquente. « C’est pour cette raison qu’il arrive parfois que je demande à la police d’arrêter le bébé noir et ses parents », avait fait savoir Raymond Zéphirin Mboulou.
Des sociologues plaident pour l’éradication du phénomène
Le Centre de recherche et d’études en sciences sociales et humaines, qui avait organisé en février dernier, à Brazzaville, une journée scientifique sur le thème « Le phénomène bébés noirs à Brazzaville : causes, manifestations, conséquences et approches de solutions», avait souhaité que le fléau soit totalement éradiqué. D’après certains conférenciers, les parents et les institutions devraient opter pour l’éducation des enfants pour qu’ils comprennent le sens du respect de la vie. « Jusque-là, la Force publique semble être la seule dans la lutte contre ce phénomène. Toutes les institutions devraient s’impliquer pour éradiquer le phénomène bébés noirs », plaidait le colonel de police Baron Bozok, sociologue et universitaire.
Psychologue et enseignant à l’université Marien-Ngouabi, Jean Didier Mbélé indiquait que pour contenir le phénomène des « Bébés noirs », il fallait renforcer l’action éducative des enfants et punir les délinquants en appliquant la loi. Il plaidait également pour la création des centres de détention où se feront l’insertion et la réinsertion professionnelle des délinquants arrêtés avant de les mettre en liberté.