- LA PRATIQUE PÉDAGOGIQUE TRADITIONNELLE
La pratique pédagogique traditionnelle encore en cours dans plusieurs pays africains est basée sur un certain nombre de dogmes aujourd’hui désuets: l’enseignant est le maître du savoir; il sait tout et l’élève ne sait rien. Le cerveau de ce dernier est un réceptacle vierge sur lequel viennent se greffer, à force de mémorisation, les « connaissances » de l’enseignant. Le cours du maître ou du professeur, empreint d’une forte dose d’autorité qui laisse peu de place à l’expression des pensées de l’élève, ne peut donc être que magistral. Dès lors, le travail de l’élève consiste à s’adonner à des exercices de mémorisation et, dans la plupart des cas, les notions mémorisées ne s’accompagnent pas de leur compréhension.
La raison en est que ce type de pédagogie est basé sur la déduction. Le procédé déductif consiste, pour les adeptes de la pédagogie traditionnelle, à présenter, d’abord, la règle ou la formule, et à faire vérifier ensuite à l’élève son applicabilité. Cette stratégie est, à ce jour, inefficace pour la raison suivante: l’élève ne sait pas d’où lui vient la règle. Il n’a jamais participé à son élaboration. Ainsi, au lieu d’être un acteur dans la construction de son propre savoir, il en devient spectateur, suiveur, et n’en colmate que les brèches. En fin de compte, ce qu’il considère comme apprentissage ou comme savoir n’en est pas un.
On peut bien observer qu’en organisant le cours autour de l’énonciation des formules mathématiques, des règles de grammaire et des lois de la physique et de la chimie que l’élève est obligé de suivre et de mettre en application, l’école traditionnelle a fermé la porte à la réflexion. En réalité, la réflexion ne suit pas la règle, elle la précède. Autrement dit, la mise en application d’une règle ou d’une formule n’est pas un moment de réflexion pour l’apprenant. C’est plutôt du mimétisme pur. Pour qu’un acte d’apprentissage se transforme en un moment de réflexion génératrice d’un véritable savoir, la règle ou la formule ne doit pas être antérieure au processus d’acquisition du savoir, mais plutôt postérieure à lui. Ainsi, le véritable apprentissage consiste en ce que l’élève participe à l’élaboration des règles, à la formulation des définitions et des théorèmes mathématiques, à la détermination des lois de la physique et de la chimie, bref à la construction de la théorie. Et pour y arriver, il ne faut pas procéder de façon déductive, mais plutôt inductive.
2. POUR UNE PRATIQUE PÉDAGOGIQUE MODERNE
À l’opposé de la pratique traditionnelle de l‘enseignement, la pédagogie moderne est basée sur le postulat selon lequel l’enseignant n’est pas le maître du savoir, mais plutôt un simple guide qui met à la disposition des élèves des outils ou des instruments devant leur servir à activer leurs multiples intelligences. Le savoir ne vient donc pas de l’enseignant, mais de l’élève lui-même à travers sa propre manipulation de ces outils. La connaissance n’est pas offerte, elle est construite par l’élève lui-même. Du coup, le cours n’est plus magistral, il est participatif, interactif, discursif. L’élève n’est plus un suiveur, il est un acteur. Son esprit n’est plus une table rase, mais un véritable réservoir d’intelligences.
Vu de cette manière, la stratégie qui permet de donner corps à cette conception est l’induction. Le raisonnement inductif part de l’observation du fonctionnement d’un objet ou d’une notion, passe par sa manipulation et sa dissection pour aboutir à l’élaboration de la règle de fonctionnement de l’objet ou à la formulation de la définition de la notion.
À titre d’exemple, une phrase grammaticale que l’on veut analyser ne doit pas nécessairement être verbalisée ou écrite au tableau. L’enseignant doit sélectionner, parmi les outils de manipulation en sa possession, le matériel plastifié ou le carton, y écrire ladite phrase, découper le carton plastifié en autant de mots et remettre l’ensemble des morceaux à chacun des élèves. Les élèves manipulent alors individuellement les mots en changeant leurs différentes positions pour déceler les sens et les contre-sens. Ce faisant, ils découvrent les multiples possibilités que ces mots offrent en termes de production d’idées, et discutent entre eux en équipes de deux, de trois ou de quatre pour s’assurer de mieux comprendre le principe de fonctionnement de la phrase. Se fondant sur leurs propres observations individuelles, il ne reste plus à chacun d’eux qu’à produire la définition de chaque mot et à générer sa règle de fonctionnement, de même que celle de la phrase. Ce procédé inductif présente l’avantage suivant: l’élève participe activement à la construction de la règle ou de la formule qui représente, en réalité, le vrai savoir. La règle ou la formule ne lui est plus étrangère. Elle ne ressemble plus à quelque chose de floue et d’étonnant imposée de l’extérieur par l’enseignant. Elle prend plutôt la forme d’un concept dont il est le géniteur, le maître et le possesseur.
À l’origine de cette stratégie gagnante en pédagogie moderne, il faut citer Howard Gardner, dont les recherches en psychologie avaient permis dans les années 70 de démontrer que l’intelligence n’est pas unique mais plurielle, et qui dressa la liste des huit classes d’intelligences correspondant chacune à un talent spécifique. Ce sont : les intelligences kinesthésique, musicale, verbo-linguistique, logico-mathématique, visuo-spatiale, interpersonnelle, intra-personnelle et naturaliste. La pédagogie moderne a, depuis lors, fait sienne cette conception des intelligences multiples, et la profession enseignante s’apparente désormais à la pratique médicinale en ce sens que, tout comme le médecin, l’enseignant a pour mission, dès la première semaine de classe, de faire l’évaluation diagnostique des élèves pour déterminer, à travers des questions spécifiques, les différents types d’intelligences de chacun d’eux, et ce, afin d’inclure dans sa planification les outils et les instruments de manipulation appropriés qui permettront de les activer.
Chaque classe doit donc posséder un espace réservé à ces outils et à ces instruments de manipulation classés par catégories d’intelligences. En fonction de l’activité d’apprentissage et du type d’intelligence à activer, l’enseignant fait une sélection de ces outils et les remet aux apprenants afin que ceux-ci les manipulent pour construire leur savoir suivant le processus inductif décrit plus haut. Au nombre de ces instruments, on note, de la maternelle à l’enseignement secondaire, la pâte à modeler pour la fabrication des formes géométriques ou des parties d’organismes vivants, de même que les ciseaux, la colle (développement de l’intelligence kinesthésique), les CDs, radios et divers instruments de musique (développement de l’intelligence musicale), les livres, les textes, les papiers et cartons divers pour la créativité, les tablettes électroniques (développement de l’intelligence linguistique), les objets représentant les copies des billet de banque et la monnaie, les bâtonnets, les objets de jeux et de manipulation en plastique ou en bois à l’image de ceux que l’on retrouve dans la pratique médicale comme les appareils pour pression artérielle, les seringues, la trousse de soins (développement de l’intelligence logico-mathématique), les objets en bois ou en plastique représentant les formes géométriques diverses pour les activités de géométrie ou de constructions architecturales, les cartes géographiques (développement de l’intelligence visuo-spatiale), les jeux de société, les jouets tirés de l’environnement représentant la nature ou les systèmes mécaniques, le matériel de peinture (développement de l’intelligence naturaliste).
Si, à travers ces outils, la pratique pédagogique moderne cherche à s’adapter à chaque élève (et non l’inverse) en l’encourageant à travailler en classe avec son ou ses intelligences dominantes, la modification de l’organisation spatiale de la classe participe de la même dynamique. Ainsi, à la linéarité des bancs qui avait pour but d’orienter le regard de l’élève vers le professeur (alors considéré comme le maître du savoir dans l’école traditionnelle) se substitue une variation de positions : le professeur dispose les bancs en blocs de 3 ou 4, les élèves ne regardent pas tous dans la même direction, puisque chaque élève a son banc et la position de chaque table est fonction de l’activité à faire. Les salles de classe deviennent alors dynamiques pour favoriser l’interaction entre les élèves. Deux ou trois murs de la classe sont aussi utilisés, l’un pour le tableau, l’autre (celui de derrière par exemple) pour les projections vidéo ou la présentation des activités pédagogiques sur Powerpoint, etc.
3. DE LA PROFESSIONNALISATION DE L’ENSEIGNEMENT
On peut observer que les stratégies de la pédagogie moderne présentées ci-haut conduisent tout droit à l’enracinement de l’enseignement dans divers domaines professionnels. En effet, l’intérêt affiché par un élève à l’endroit d’une profession spécifique est en grande partie tributaire de sa relation aux outils de manipulation mis à sa disposition depuis la maternelle et l’école primaire ou secondaire pour activer son ou ses intelligences dominantes. Les outils de manipulation ne permettent donc pas seulement d’activer la réflexion et les intelligences. Ils sont surtout des vecteurs de la professionnalisation de l’enseignement, d’autant plus que chaque type d’intelligence activée correspond à une catégorie professionnelle spécifique, comme on peut le voir dans le tableau suivant :
- Intelligence kinesthésique : menuisiers, chirurgiens, comédiens, sportifs;
- Intelligence musicale : musiciens, chanteurs, traducteurs, professeurs de langue;
- Intelligence linguistique : poètes, écrivains, journalistes, politiciens, conférenciers;
- Intelligence logico-mathématique : informaticiens, scientifiques, médecins, financiers, statisticiens;
- Intelligence visuo-spatiale : graphistes, géographes, dessinateurs, architectes, développeurs web;
- Intelligence interpersonnelle : psychologues, travailleurs sociaux, commerçants;
- Intelligence intra-personnelle : écrivains, chercheurs, inventeurs, philosophes;
- Intelligence naturaliste : biologistes, botanistes, océanographes, archivistes, astrologues, agriculteurs;
CONCLUSION
L’éducation traditionnelle est centrée sur l’enseignant et est révélatrice de l’exercice d’un pouvoir qui met à mal l’éclosion du génie des jeunes élèves. Le professeur étant le maître de tout, l’enfant n’est pas préparé à la discussion participative. La pratique pédagogique moderne, quant à elle, met l’élève, dès la maternelle, au centre de ses activités d’apprentissage et favorise l’expression libre de ses idées. Elle est donc une initiation subtile à la participation citoyenne, à la vie en contexte démocratique. Il est urgent que le Congo et l’Afrique se l’approprient pour favoriser à terme l’éclosion d‘une société libérée de toutes ses chaines.