Le président congolais Denis Sassou-Nguesso revient sur la pandémie de Covid-19, sur la prolongation des mesures de confinement jusqu’au 15 mai.
Denis Sassou-Nguesso confirme que tous les traitements qui sont faits ailleurs, comme le protocole du professeur Raoult ou l’Artemisia de Madagascar, doivent être essayés en milieu hospitalier, sous contrôle. Denis Sassou-Nguesso évoque aussi la chute des cours du pétrole. « Nous avons confiance, nous ne croyons pas à un effondrement de l’économie congolaise », estime-t-il. Il demande une aide entre 300 et 500 millions de dollars au FMI.
Le président congolais dément par ailleurs les révélations de l’ONG Publiez ce que vous payez selon lesquelles sur 69 projets de santé publiés qu’elle a suivis en 2017 et 2018, aucun n’a abouti. « C’est dans l’imagination de ceux qui parlent », déclare-t-il. Denis Sassou-Nguesso écarte aussi toute mesure de libération des opposants Jean-Marie Michel Mokoko et André Okombi Salissa. Á ceux qui pensent qu’il prépare son fils Denis Christel Sassou-Nguesso pour lui succéder un jour, « cela est de la légende », répond-il sèchement.
Interrogé sur le dossier Libyen, le président congolais, qui dirige le Comité de Haut-niveau de l’Union africaine sur la Libye, déplore la situation qui prévaut sur le terrain. Quant à la conférence de réconciliation nationale qui devait se tenir en juillet à Addis Abeba, il reconnait que « les conditions actuelles ne permettent pas d’aller vers cet objectif ». Denis Sassou-Nguesso rappelle qu’il n’y a pas de solution militaire et appelle les belligérants « à la sagesse » pour que la souffrance du peuple libyen soit abrégée.
Monsieur le président, vous venez d’annoncer que le confinement, en raison du Covid-19 au Congo, qui devait se terminer à la fin du mois d’avril, allait être prolongé jusqu’au 15 mai. Vous avez aussi annoncé le port obligatoire du masque, une campagne de dépistage à grande échelle. Est-ce que cela veut dire que vous craignez que le pire soit encore devant vous, face à cette pandémie ?
Oui, nous avons pris ces décisions, parce que ces derniers temps, après trente jours de confinement, nous avons observé une remontée d’épidémie. On atteint aujourd’hui près de 260 cas, dont 10 morts – 2 médecins, parmi les morts – et une trentaine de cas guéris. Nous pensons que l’épidémie est encore là et voilà pourquoi nous avons cru utile de renforcer les mesures au cours des quinze prochains jours.
Pour les malades du Covid-19, il existe des traitements qui font débat. Celui basé sur la chloroquine et celui développé par Madagascar, à base d’artémisia. Vous venez d’en commander, mais certains doutent de l’efficacité de ces remèdes. Comptez-vous l’utiliser au Congo ?
Nous pensons que tout le monde fait confiance au progrès de la science, mais devant nous, nous avons aussi des vies à sauver, puisque les scientifiques n’ont pas encore mis au point un médicament efficace, accepté par tous, nous pensons que tous les essais qui sont faits ailleurs et qui ont donné quelques signes d’efficacité, comme le protocole du professeur Raoult ou le produit de Madagascar, nous pensons qu’en milieu hospitalier, sous contrôle, nous devons les essayer, nous aussi, pour tenter de sauver des vies.
Monsieur le président, il y a évidemment cette crise sanitaire – vous venez de le dire – vous êtes encore en plein dedans – il y a une crise économique -, mais pour votre pays, en plus, il y a une crise pétrolière. Le prix du baril s’est effondré ces derniers temps. Vos revenus pétroliers vont être divisés de moitié. On prévoit une récession sévère. Est-ce que vous n’êtes pas inquiet ? Est-ce que vous ne craignez pas un effondrement économique de votre pays ?
Oui, les éléments que vous avancez sont exacts. Notre Parlement vient d’approuver un collectif budgétaire qui réduit notre budget 2020 de moitié, mais nous avons confiance. Nous pensons que le monde a connu des situations aussi graves dans le passé et que les économies du monde reprendront. Le pétrole remontera aussi – les prix -, et nous ne croyons pas à un effondrement général de tout ceci, pas à un effondrement de l’économie congolaise non plus.
Monsieur le président, le FMI ne vous a pas inclus dans une première liste de vingt-cinq pays à qui il accorde une aide d’urgence. Ne craignez-vous pas d’être oublié, d’autant que le FMI a gelé une tranche d’aide en décembre, estimant que vous n’aviez pas rempli vos obligations, notamment en matière de transparence, de restructuration de votre dette avec la Chine, et surtout avec des traders pétroliers ?
Nous sommes en rapport constant avec le Fonds monétaire international. La dette du Congo a été très structurée, avec l’appui de la Chine. Nos négociations avec les traders vont dans la bonne direction. Nous pensons que le Fonds monétaire international tient compte de tous ces éléments-là et approuvera la demande d’aide urgence que nous avons formulée.
Monsieur le président, vous demandez combien au Fonds monétaire international et est-ce que vous pensez que vous allez, en effet, conclure ? Il y a deux traders pétroliers notamment, avec qui vous êtes en litige depuis des années et on parle de grosses sommes. C’est Trafigura et Glencore. Est-ce que vous allez conclure un accord avec eux et combien demandez-vous au FMI ?
Nous avons confiance. Nous pensons que nous allons conclure avec Trafigura et glencore. Au Fonds monétaire, nous demandons une aide qui peut aller vers 300-400-500 millions de dollars, pourquoi pas… Mais nous maintenons le contact avec les autorités du Fonds monétaire.
Face à cette épidémie, des intellectuels africains ont lancé un appel aux chefs d’État pour qu’ils fassent plus pour leur population. Vous, qui êtes au pouvoir depuis longtemps, dans un pays « au si riche » potentiel, vous devez vous sentir particulièrement visé. Reconnaissez-vous votre part de responsabilité ?
Les intellectuels dont vous parlez, je ne sais pas s’ils sont à notre contact ici, sur le continent. Mais en tout état de cause, nous sommes responsables de la vie de nos populations, oui, c’est vrai. Et nous avons pris une série de mesures pour atténuer les difficultés que connaissent les populations en cette période de crise. Par exemple, un Fonds de solidarité de 100 milliards de francs Cfa pour soutenir les entreprises en difficulté, et le secteur informel, de l’aide en direction des populations les plus démunies… Nous pensons que nous prendrons toutes les mesures pour soutenir notre peuple dans cette situation difficile. Nous l’avons toujours fait dans le passé.
Monsieur le président, il y a une organisation non-gouvernementale qui s’appelle « Publiez Ce Que Vous Payez » qui vient de révéler, elle a fait une étude sur les projets de santé, en affirmant que sur soixante-neuf projets de santé budgétés en 2017 et 2018, aucun n’avait vu le jour. Ce qui pose quand même une question, à savoir : de l’argent a été budgété pour construire des hôpitaux. Il a disparu, il a été détourné. D’abord, votre réaction à ces affirmations et si elles sont avérées, que comptez-vous faire ?
Tout ceci est faux. Aucun sou n’a été détourné. Nous avons programmé la construction de près de quatorze hôpitaux. Douze pour les départements, un hôpital central des armés, l’hôpital « mère-enfant » qui est terminé et qui est en fonctionnement. Les autres sont à presque 75 % pour le gros œuvre. Mais tous ces chantiers ont été arrêtés et ils sont suspendus à cause de l’effondrement du cours du pétrole. Nous avons bon espoir qu’ils seront relancés et nous allons programmer d’en relacer deux, cette année.
Donc ce sont des accusations mensongères ? C’est ce que vous dites ?
Ce n’est que dans l’imagination. Ceci est dans l’imagination de ceux qui parlent et qui parlent au loin. Il serait bon qu’ils viennent ici au Congo, en Afrique, pour s’imprégner de la réalité.
Les organisations de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International, demandent la libération de prisonniers politiques pendant la pandémie. Elles citent notamment vos opposants Jean-Marie Michel Mokoko, André Okombi Salissa. Est-ce que vous êtes disposé à faire ce geste pour des raisons sanitaires et humanitaires, avant la prochaine présidentielle du premier trimestre 2021 ?
Madame, je dois vous dire que les personnes que vous citez ne sont pas en prison, parce que ce sont des personnalités politiques. Elles ont pris part à l’élection présidentielle en 2016 en toute liberté et elles ont été poursuivies en justice pour des faits de droit commun. C’est pour ces faits-là que ces personnes ont été condamnées. Dans tous les cas, en ce qui concerne le gouvernement, il a été décidé de la libération de 365 prisonniers, qui ont été condamnés pour des délits mineurs. D’autres, parce qu’ils avaient déjà purgé la plus importante partie de leur peine, 365 prisonniers ont été libérés pour désengorger les prisons. Mais les personnalités que vous citez ne sont pas en prison parce que ce sont des personnalités politiques, mais parce qu’elles ont commis des délits de droit commun.
Et donc elles ne seront pas libérées ? C’est ce que vous nous dites, aujourd’hui ?
Il n’y a pas de raison pour qu’elles soient libérées. J’ai dit : pour désengorger les maisons d’arrêt, 365 prisonniers ont été libérés.
On a mentionné rapidement la présidentielle de 2021. Elle est prévue au premier trimestre. On sait que le calendrier électoral, dans certains pays, va peut-être être bousculé à cause de la pandémie. Est-ce qu’il aura bien lieu en temps et en heure ou est-ce que vous envisagez un report en raison du Covid-19 ?
Cette question n’est pas encore à l’ordre du jour.
Certains prétendent que vous préparez votre fils Denis Christel Sassou Nguesso pour vous succéder un jour. Est-ce exact ? Est-ce votre souhait ?
Madame, cela est de la légende. Est-ce que nous pouvons aborder des questions plus sérieuses qui sont, en réalité, d’actualité ? S’il vous plaît…
On va parler d’une question d’actualité, qui hélas, est une question d’actualité depuis longtemps sur le continent : la Libye. Vous êtes en charge du Comité de haut niveau de l’Union africaine. À ce propos, les espoirs de cessez-le-feu ont volé en éclats. Les combats se multiplient. Toutes les tentatives de médiation ont échoué. Est-ce qu’on est vraiment au bord de la catastrophe en Libye et est-ce que la Conférence de réconciliation nationale qui était prévue à Addis-Ababa en juillet pourra avoir lieu dans ces conditions ?
Vous décrivez là une situation regrettable et dramatique. Pourtant, depuis la réunion de Berlin, il a été entendu que la question de la Libye n’avait pas de solution militaire et qu’il fallait aller vers des solutions politiques, aller vers un cessez-le-feu.
Et pour l’Union africaine il s’agit de préparer, puis de tenir un forum de réconciliation nationale inclusif à Addis-Abeba. Vous voyez bien que les conditions ne permettent pas, pour le moment, d’aller vers cet objectif. Mais l’Union africaine continue de conserver cet objectif-là, parce qu’elle considère qu’il n’y a pas de solution militaire en Libye. Et vous voyez bien que cette situation crée des drames dans les milieux des femmes, des enfants, de migrants…
Nous profitons de cette occasion pour lancer un appel aux belligérants en Libye, un appel à la sagesse pour que la souffrance du peuple libyen soit abrégée.