Le débat sur la légalisation de l’avortement ressurgit en Argentine, où les pro et anti-IVG fourbissent leurs armes tandis qu’un nouveau projet de loi va être très prochainement débattu au Parlement à l’initiative du président Alberto Fernandez.
Dans ce pays sud-américain de 45 millions d’habitants, berceau du pape François, l’avortement n’est légal qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère. Mais chaque année, environ 400.000 avortements sont pratiqués, selon les organisations de Défense des droits des femmes.
Ces avortements se déroulent la plupart du temps dans des conditions d’hygiène précaires pour les plus pauvres, ou dans des cliniques privées pour celles qui peuvent débourser environ 1.000 euros. Une Argentine qui avorte s’expose à une peine de prison jusqu’à quatre ans, selon le code pénal, et le praticien risque la même sanction.
En juin 2018, lors d’un vote historique, la chambre des députés avait approuvé la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) jusqu’à la 14e semaine, mais le Sénat l’avait finalement rejetée quelques semaines plus tard.
Depuis cette date, les deux chambres ont été partiellement renouvelées et le nouveau président de centre-gauche s’est fermement engagé à présenter devant le Parlement un nouveau projet de loi en faveur de la légalisation.
« Toute la société doit respecter la décision individuelle de chacun à disposer de son corps », a déclaré le chef de l’Etat le 1er mars, à l’ouverture de la session ordinaire du Congrès, où il a promis de déposer le projet « dans les dix jours ».
A l’approche du débat parlementaire et de la Journée internationale des femmes, les mouvements féministes ont prévu de descendre dans la rue pour maintenir la pression sur les parlementaires, alors que l’Eglise catholique, les évangéliques et les groupes « pro-vie » sont aussi bien décidés à donner de la voix.
« Avoir un président qui se prononce en faveur (de la légalisation), c’est un succès de nous toutes. C’est un moment historique et nous devons rester mobilisées dans la rue », explique à l’AFP Victoria Tesoriero, de la Campagne nationale pour le droit à un avortement sûr, légal et gratuit.
En Amérique latine, l’Argentine a été pionnière pour la promulgation de lois sur le mariage homosexuel et l’identité de genre. En cas de légalisation de l’avortement, le pays rejoindrait Cuba, l’Uruguay, le Guyana et la province de Mexico.
– « Militantisme du président » –
Mais les opposants ne désarment pas.
« Le militantisme actif du président nous inquiète. Il va faire tout son possible pour que cela soit voté. La pression sur les provinces et les gouverneurs peut d’une certaine manière influencer le vote des sénateurs », redoute Camila Duro, porte-parole du mouvement Frente Joven (Front jeune).
« Nous voulons alerter le pouvoir politique que dans le pays, une majorité, qui apparaît dans les sondages et qui se mobilise dans la rue, n’est pas d’accord avec ce projet de loi », ajoute-t-elle.
Selon la dernière enquête d’opinion sur les croyances et comportements religieux en Argentine, le nombre de personnes qui affirment que l’avortement est un droit pour les femmes a doublé en dix ans, passant de 14,1% en 2008 à 27,3% en 2019.
Parallèlement, le nombre de personnes qui estiment que l’avortement doit être maintenu « interdit » a aussi augmenté, même si dans une moindre proportion, passant de 16,9% en 2008 à 18,7% en 2019.
Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, l’Eglise catholique a prévu une messe à la Basilique de Notre-Dame de Lujan, important lieu de pèlerinage, à 75 km à l’ouest de Buenos Aires, avec pour thème « Oui aux femmes, oui à la vie ».
« L’église est prête à jouer un rôle de premier plan et à faire pression sur le gouvernement Fernandez qui a reçu le soutien de divers secteurs catholiques pendant la campagne, en particulier sur les questions de la faim et de la pauvreté » accentuées par la profonde crise économique, souligne Camila Duro.
Le lendemain, les mouvements féministes ont annoncé une grève des femmes, ainsi qu’une manifestation pro-IVG devant le palais du Congrès, avec les désormais célèbres foulards verts, symbolisant la lutte en faveur de la légalisation.